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Suite de "La bataille d'Asgard".
"Le bateau-sabre" est déjà le quatrième album scénarisé par Yves Sente, qui a repris la série en 2007 lorsque Jean Van Hamme a souhaité se tourner vers d'autres projets. Avant de redonner la main à son illustre père, Jolan apparaît tout de même dans 5 pages, au début de l'album, histoire de ne pas dérouter complètement les lecteurs qui attendaient la suite de son périple. Accompagné par ses quatre lieutenants, Jolan semble parti pour des aventures épiques et dangereuses, avec un retour sur Midgard annoncé. Le contraste entre les aventures du père et du fils est aussi marqué visuellement, avec des pages sombres et colorées qui s'opposent à la froide lumière du voyage de Thorgal. Les personnages et situations teintés de magie, l'intrigue portant sur des événements à l'échelle d'un continent, sur des bouleversements pouvant menacer l'existence même du panthéon nordique... Non, décidemment, Jolan et Thorgal ne naviguent plus dans les mêmes eaux. Jean Van Hamme s'est presque toujours gardé de toute évocation historique explicite, en dehors peut-être d'une incursion au coeur de l'empire romain d'Orient dans l'album "Le barbare". Yves Sente semble vouloir explorer l'Histoire, en la réinventant peut-être.
Bien loin de toutes ces intrigues magico-divines, Thorgal poursuit son voyage. Même s'il a affaire à des magiciens, c'est bien une affaire d'homme qu'il a à régler. Il veut retrouver son fils et comprendre pourquoi on a à nouveau brisé sa famille. Sans qu'on sache pourquoi, les ravisseurs d'Aniel ont traversé la moitié d'un continent pour voir s'accomplir la prophétie de leur maître défunt, le mage rouge Kahaniel de Valnor. Une tâche qu'ils accomplissent en hâte, en abandonnant toute prudence et toute discrétion, ce qui a permis à Thorgal de suivre leurs traces dans l'album précédent. Le voilà maintenant engagé comme mercenaire à bord d'un bateau marchand, chargé de la défense du navire, des passagers et de la précieuse cargaison. Une nouveauté pour Thorgal qui n'avait jamais eu à monnayer ses talents jusqu'ici. Des talents qui sont rapidement mis à contribution, lors d'une attaque de bateau haletante, très cinématographique, qui lance parfaitement l'album et nous réconcilie avec notre héros viking, enfin courageux, fort, adroit. Comme on l'aime ! Analysant les situations avec une froide lucidité, réagissant avec bravoure et efficacité, Thorgal va ainsi démontrer tout au long de l'album qu'il est de retour et que le (presque) retraité a encore de la valeur.
On retrouve avec plaisir un personnage quitté il y a bien longtemps, dans le 24ème album, "Arachnéa" (1999). Les circonstances de ces retrouvailles sont plutôt dramatiques, mais elles motivent toute la seconde moitié de l'album et donnent à Thorgal l'excuse dont il avait besoin pour quitter le bateau en quête d'aventure. On ne sait pas encore ce qui s'est passé dans l'île d'Arachnéa mais on peut imaginer que les brumes, qui l'isolaient, la protégeaient également du monde extérieur, et que leur disparition a peut-être remplacé une malédiction par une autre. Mais le personnage secondaire qui crève l'écran dans "Le bateau-sabre" est bien sûr Petrov. Un gaillard, au physique sans pareil : barbe fournie, moustaches collectors, coupe au bol et pommettes saillantes. Un homme d'action aux méthodes directes, respecté au point de prendre le contrôle du navire quand le danger s'invite à bord.
Petrov dégage une sérénité mentale et physique que peu de personnages de la série ont eue jusque-là, en dehors de Thorgal. Il semble sans faille. Paradoxalement, on ne le voit pas vraiment se battre dans cet album, car il est bien trop occupé à étudier le drôle de cas que la vie vient de mettre sur sa route : Thorgal ! Comme dans les albums précédents, Sente utilise donc ses personnages secondaires au profit de sa narration. Le scénariste aime raconter et expliquer et ce n'est certainement pas Thorgal-le-discret qui pourrait l'y aider. Même s'il reste souvent en retrait de son compagnon viking, Petrov est ainsi bien plus qu'un faire-valoir. C'est un personnage, un vrai, dont on sait peu mais qui a déjà fait son trou dans la série. D'autres personnages sortent du lot. Le marchand d'esclaves, joyeux commerçant sans état d'âme en costume bigarré de Père Noël moyenâgeux. Le chef du groupe de vikings, Lars, animé par une loyauté et une cruauté sans limites. La belle orientale et les mystères que cachent ses yeux. Les criminels kakhazes horriblement marqués au fer rouge, qui pourraient bien jouer un rôle dans le prochain album. Et bien sûr les animaux.
Avec un héros scandinave, Rosinski a bien sûr eu de multiples occasions de travailler avec la neige, avec les grandes étendues blanches. Parmi les albums "blancs", on pense à "L'île des mers gelées", "Le maître des montagnes", "La marque des bannis"... Mais faire du blanc n'est pas si simple, même en s'appuyant sur la couleur d'origine de la feuille. Contrairement aux albums cités, le dessinateur ne peut pas modeler sa neige comme il le faisait (fort bien) quand il travaillait à la plume et à l'encre.
Restant sur la ligne de l'album précédent, "Le bateau-sabre" est un bel album en couleurs directes. Après avoir esquissé le dessin au pinceau sur la planche, le dessinateur travaille directement en couleurs, couche après couche, ajoutant des détails à chaque passage. Les dessins terminés sont rehaussés par des lignes noires ou blanches, selon la lumière et le contraste attendus. Les arrières-plans, souvent très détaillés, sont parfois simplement esquissés, quelques lignes légères suffisant à créer une ambiance, à situer une action, sans charger la case, sans diluer l'essentiel.
Réaliser la couverture d'un album n'est pas l'étape la plus simple. L'impact sur le lecteur, sur son envie d'ouvrir le livre et de découvrir l'histoire, est important. Gregorz Rosinski réalise toutes les couvertures des albums des Mondes de Thorgal, et bien sûr celles de la série-mère. Voici quelques images de la réalisation de la couverture de cet album. Avec tout d'abord un projet de couverture, écarté au profit de la course en traîneau. On y voit Thorgal en gros plan, bonnet sur la tête et regard direct, avec en arrière-plan le bateau-sabre fendant la glace et les tigres blancs. Voici maintenant différentes étapes de la création de la couverture définitive. Première image, une esquisse assez aboutie. Les éléments sont en place. Ensuite, une couverture déjà très élaborée, la première à avoir été vue sur Internet. Le bateau est fondu dans le bleu et les chiens n'ont pas leur aspect définitif.
La dernière image est la toile terminée. Le bateau a retrouvé des couleurs. La toile a été recadrée pour la couverture de l'album.
Même s'ils ont assez mauvaise réputation, notamment à cause des nombreux raids qu'ils menèrent un peu partout en Europe il y a 1000 ans, les Vikings n'étaient pas tous des guerriers à la recherche d'or et de gloire. De nombreux peuples scandinaves préféraient le commerce au pillage. Les Vikings étaient notamment bien implantés tout au long des fleuves permettant de joindre la Mer Baltique à la mer Caspienne, la Mer Noire et au-delà. Certainement en majorité d'origine suédoise, ils ont laissé des traces de leur passage dans une bonne partie de l'actuelle Russie, et au Moyen-Orient. Certains ont même fondé ou développé des villes tout au long des lignes marchandes, s'y installant parfois définitivement. Remontant les fleuves d'Europe de l'est, comme la Vistule, le Dniepr ou la Volga, ils atteignaient Bagdad, capitale du califat abasside (aujourd'hui en Irak), ou Constantinople, capitale de l'empire byzantin (Istanbul en Turquie de nos jours). Dans ces grandes cités médiévales, ils pouvaient se procurer des produits d'origines très lointaines comme de la soie chinoise ou des épices venues d'Inde. Equipés de bateaux légers, ils tiraient (ou portaient !) parfois leurs navires pour franchir les passages les plus difficiles. Ils avaient aussi des navires de charge, très larges, capables de transporter de grandes quantités de marchandises. Certains louaient aussi leurs services comme mercenaires. Les marchands vikings échangeaient des fourrures, des objets manufacturés, de l'ambre, des métaux... contre des épices, des étoffes, des objets en verre, des matières précieuses. Un commerce dangereux mais payant, même s'il les obligeait à parcourir de grandes distances. Moins glorieux de nos jours mais monnaie courante à l'époque, le commerce des esclaves fit aussi la fortune de nombreux aventuriers du nord. Le sujet a été rarement abordé dans la série, mais on se souvient du marchand d'esclaves byzantin de "La marque des bannis" qui chercha à s'emparer d'Aaricia et des enfants, après leur bannissement. Il y eut aussi les esclaves d'Orgoff dans "L'épée-soleil", ceux de Shaïgan, ou bien sûr les albums "Le barbare" et "Kriss de Valnor". L'esclavage était naturel pour les Vikings, on confiait les travaux les plus difficiles aux hommes et femmes enlevés pendant les raids, achetés sur les marchés du Moyen-Orient ou déchus de leurs droits. Plus habitué aux guerriers du nord qu'au marchands du sud, Thorgal découvre dans cet album une facette nouvelle du peuple qui l'a accueilli. Il suit ainsi une route ouverte par les Vikings vers des peuples et des régions surprenants et lointains, vers des civilisations florissantes et modernes.
Voilà un album animé, un voyage, un concentré d'aventure. On pourra par contre lui reprocher de ne pas faire avancer l'histoire d'Aniel et des Mages rouges. Il s'agit donc ici d'un album à part, avec une histoire qui se suffit à elle-même et se détache du cycle en cours. Il s'agissait de remettre Thorgal en scène, sans l'approcher trop d'un final qui semble déjà programmé par le scénariste et l'éditeur. Les prochains albums devraient paraître tous les deux ans (34ème album en 2013), jusqu'à un 36ème album annoncé comme l'aboutissement de quêtes entamées dans les diverses séries des Mondes de Thorgal. C'est loin, nous verrons ! A l'évidence, il devient urgent que les différents héros de ces séries ne s'attendent pas trop les uns les autres. La tâche des différents auteurs est forcément compliquée car il s'agit de faire vivre à différents personnages des aventures indépendantes de celles des autres, sans les détacher complètement. Tout en tenant compte du fait que certains lecteurs n'auront pas lu tous les albums de toutes les séries parallèles. Un lecteur exclusif de la série-mère devra pouvoir suivre les aventures de Thorgal même s'il ne sait rien des Mondes de Thorgal ! Paru conjointement avec "Raïssa", premier album des Mondes de Thorgal consacré à Louve, "Le bateau-sabre" est surtout un album qui affirme haut et fort le retour de Thorgal en héros de sa propre série et donne au viking, espérons-le, un élan nouveau pour les années à venir. A suivre dans "Kah-Aniel". Voici les cinq premières planches de l'album "Le bateau-sabre". Sur les trois premières, un navire en perdition tente d'échapper aux eaux gelées du nord. Des eaux qui cachent un terrible prédateur. Les deux suivantes nous ramènent chez Manthor, au coeur de l'Entremonde. De retour d'Asgard, Jolan rejoint ses compagnons et exige son dû : le destin exceptionnel promis par le mage rouge... En exclusivité pour le site Thorgal-BD, voici plusieurs extraits du scénario original rédigé par Yves Sente. Placés en vis-à-vis des cases de l'album, ces extraits permettent de voir comment le dessinateur décrypte la vision du scénariste et se l'approprie, parfois très fidèlement, parfois plus librement.
Une édition spéciale de l'album a paru en janvier 2012, dans un format inédit pour la série, le format "100%".
La couverture toilée, bleue, reprend une case de la première planche, avec le bateau viking pris dans les glaces. Le mât du bateau a été prolongé par l'auteur pour l'occasion, faisant de lui un dessin semi-inédit. Le pelliculage est mat, le dessin du bateau brillant, le titre et le logo "100%" dorés et brillants également. Le tout est encadré de lignes pointillées évoquant le découpage.
Cet album de 248 pages propose sur un beau papier les cases du dernier Thorgal, reproduites en taille réelle, sans bulles ni textes. Près de deux fois plus grand que dans l'édition normale, chaque dessin de Rosinski est accompagné de l'extrait de scénario lui correspondant. Chaque double-page de l'album ne propose que deux ou trois cases, parfois une seule pour les plus grandes.
Le sens de lecture est double : on lit le scénario original d'Yves Sente (contenant de nombreuse annotations personnelles) en tenant le livre "normalement".
Vendu 99 euros, cet album a été édité en 300 exemplaires et 50 hors commerce réservés aux auteurs et aux proches. La maquette a été réalisée par Piotr Rosinski, le fils de Grzegorz. Il existe également une version luxe pour le marché néerlandophone ("De zwaardboot"), avec une maquette très différente et un format plus classique.
Les deux albums sont accompagnés de quelques pages de croquis, des recherches de personnages, des cases en cours d'élaboration, des recherches de couverture. Il y a également un bel ex libris représentant Louve, s'entraînant au tir à l'arc sous l'oeil attendri et expert de son père. L'ex libris est signé par les deux auteurs.
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